Enfant prodige né à Strasbourg en 1832, Gustave Doré publie ses premiers dessins à l’âge de 13 ans. Caricaturiste professionnel dès l’âge de 15 ans et illustrateur de génie (on lui doit des éditions mémorables de Rabelais, Dante, Virgile ou Shakespeare), il est considéré comme l’un des inventeurs de la bande dessinée, grâce à l’album Des-agréments d’un voyage d’agrément (1851), qui raconte l’histoire de Mr Plumet, bourgeois à la retraite qui décide de visiter les Alpes et de les dessiner. Mal reconnue de son vivant, la peinture de Gustave Doré – dans laquelle la montagne tient un rôle essentiel – est l’un des plus beaux accomplissements du romantisme français.
En 1857, Doré tente de percer en tant que paysagiste au Salon (manifestation artistique qui a lieu à Paris et qui expose les œuvres des artistes, peintres et sculpteurs essentiellement, rendant compte des évolutions artistiques). Ce type d’œuvre lui permet de s’essayer à un nouveau genre pour se démarquer de sa réputation naissante d’illustrateur. Le jeune peintre prend alors exemple sur le maître du paysage alpestre, le Genevois Alexandre Calame, admiré en France pour ses grandes toiles comme L’Orage à la Handeck qui lui vaut la médaille d’or au Salon de 1839.
L’empreinte de Calame sera durable tout au long de la carrière de Doré : celui-ci va multiplier autant les vues en coulisses de torrents dévalant vers le spectateur, au milieu des éboulis et des sapins, que les panoramas contemplatifs de sommets saisis sous une lumière crépusculaire et les vues de plans d’eau lumineux entourés de montagnes. Globalement, son œuvre associe la finesse et la luminosité des vues du peintre genevois à la touche expressive et aux empâtements de Courbet.
Doré n’invente pas de nouveaux territoires paysagers, les Alpes étant un sujet de peinture depuis le xvıııe siècle. Il représente les montagnes savoyardes, plus rarement italiennes et autrichiennes, mais c’est sa passion pour les Alpes suisses qui l’emporte.
Le tableau présenté est divisé en deux par une diagonale. À droite de la toile se trouve une vache meuglant, le museau en l’air, sur le bord d’une falaise. Devant elle, un arbre couché et, derrière elle, une rangée de sapins qui surplombent la falaise. La couleur des rochers se confond avec le pelage de l’animal. Du côté gauche de la toile se dessinent des falaises abruptes avec quelques sommets enneigés, dans des tons bleu et blanc rappelant le ciel.
Alors que la nature domine la scène, il ressort de cette toile un sentiment de magnificence et d’immensité qui invite à la contemplation. Mais d’un point de vue de la narration, cette vache questionne le spectateur. Comment est-elle arrivée là ? Où se trouve le troupeau ? Quelle échappatoire pour l’animal ? Autant de pistes inabouties qui n’en finissent pas de questionner le spectateur.