Fantastique en de nombreux aspects, cette toile rivalise de génie avec les plus grandes œuvres du genre. À la fois puissante et expressive, cette composition fourmille de motifs surprenants, imaginaires, terribles, et, parfois, même burlesques. Ce tableau est sublimé par une mise en scène recherchée, capable tout à la fois de mettre en avant le côté fantastique du sujet et de donner à cette étrange composition un côté désordonné, tout en maîtrisant parfaitement dans les faits l’agencement global de la scène.
Le thème de ce tableau est emprunté au récit du saint Athanase : après être parti vivre dans le désert en ermite, Antoine évoque les souvenirs trop vivaces de son passé et connaît à nouveau les tentations démoniaques (les séductions du pouvoir, du luxe et de la volupté le sollicitent). Mais, si le Christ n’eut à l’endurer que quarante jours, Antoine fut, en revanche, soumis à l’épreuve tout au long de sa vie… Les démons n’hésitant pas à s’attaquer à lui jusque dans la vieillesse. Il résista cependant à tout et ne se laissa pas abuser par les tentations qui ne cessaient de se multiplier.
Dans cette vision entre Ciel et Enfer, on retrouve les quatre éléments : l’eau, le feu, la terre et l’air. Une multitude de monstres et de personnages tous plus étranges les uns que les autres, peuple cet environnement fantastique. On aperçoit, au milieu de la scène, l’un des cavaliers de l’Apocalypse sortant de la porte des Enfers. Le tableau baigne dans une atmosphère sombre aux tonalités brunes et ocre traversées de rouges et de jaunes aigus, donnant d’autant plus de force aux motifs qui les arborent. Cette magnifique Tentation de saint Antoine égale les plus belles scènes infernales peintes par les grands prédécesseurs que sont Jérôme Bosch, Jan Mandijn et Jan Brueghel.
Véritable chef-d’œuvre de l’artiste, ce panorama infernal échappe à la simple retranscription des modèles précédents hérités de Jérôme Bosch. Inventif et étonnant, le peintre s’inspire également d’une gravure de Giorgio Ghisi datant de 1561 et connue sous le nom Allégorie de la vie (Le rêve de Raphaël). Des éléments tirés du tableau de Jan Brueghel l’Ancien, intitulé Circé et Ulysse, parsèment aussi la composition.
La tentation de saint Antoine se démarque cependant de ces deux œuvres par une mise en scène plus recherchée, marquée par une volonté de mettre en avant le côté fantastique du sujet et par la volonté d’animer la composition en donnant un côté faussement désordonné à l’ensemble, tout en maîtrisant parfaitement l’ensemble de l’agencement. L’étude du Saint, peint en grisaille, nous laisse penser que le tableau date des années 1600 et fut probablement peint après le séjour de l’artiste à Venise (le support en noyer confirmant l’hypothèse d’une origine italienne).