Le jardin du cloître du couvent Sainte-Cécile

HISTORIQUE

Fondé en 1624 et situé dans le vieux Grenoble, le couvent Sainte-Cécile a une histoire extrêmement riche puisqu’il fut tour à tour couvent, caserne, cinéma, dancing et théâtre. Il est aujourd’hui le siège du fonds, de la fondation et des éditions Glénat.

Le jardin dans l’espace conventuel

Dans les espaces monastiques, les bâtiments n’occupent en réalité qu’une portion relativement réduite. La plus grande partie est en fait dévolue aux jardins, qui permettent aux communautés de se nourrir et de se soigner, mais donnent aussi un espace d’agrément et de « respiration » indispensable à l’équilibre de cette vie cloîtrée. En effet, si le potager, les vergers et le « carré des simples » (espace contenant les plantes médicinales) perpétuent la vocation nourricière et sanitaire des jardins médiévaux, le jardin monastique des Temps modernes offre aussi l’agrément d’une promenade destinée à soutenir et renforcer la vie spirituelle des religieuses.

On y aménage donc des bosquets, des allées et des perspectives ponctuées de fontaines, de bassins, de grottes et autres « fabriques », mais seul le programme iconographique est proprement religieux. Des édifices à fonction utilitaire parsèment également le jardin.

Faute de place dans les couvents intra-muros (construits à l’intérieur des remparts, ce qui est le cas pour le couvent Sainte-Cécile), les religieuses n’ont parfois d’autre recours que de fragmenter le jardin en différentes parcelles plus ou moins proches de l’édifice principal. À Sainte-Cécile, le verger était par exemple aménagé dans un autre espace, qui constitue aujourd’hui le jardin du restaurant Les jardins de Sainte-Cécile. Concernant le cloître, il devait plutôt être dédié à l’oraison et à la méditation avec peut-être un carré de « simples ». 

Les jardins médicinaux

Au XVIIe siècle, les jardins botaniques connaissent un véritable essor en Europe. Celui de Paris fut fondé en 1635 par un édit de Louis XIII, grâce à la patiente énergie de Guy de La Brosse, l’un des médecins du roi.

Depuis le Moyen Âge, les couvents possèdent également leurs propres jardins médicinaux, qui mêlent plantes aromatiques, médicinales et comestibles. Le choix des plantes correspond à la théorie des quatre humeurs et aux habitudes de consommation de l’époque.

Albrecht Dürer, Philosophia, gravure, 1502.
© Houghton Library, Harvard University
  • La théorie des humeurs

Élaborée peu à peu par Hippocrate (460-377 av. J.-C.) et les auteurs du Corpus Hippocraticum, puis par Galien, la théorie des humeurs joue un rôle important dans l’histoire de la médecine et de la pharmacie jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.

Selon cette théorie, le corps est constitué de quatre humeurs :

  • le sang (venant du foie et reçu par le cœur, donnant un caractère sanguin ou chaleureux) ;
  • le phlegme (venant du cerveau et donnant un caractère lymphatique) ;
  • la bile jaune (venant du foie et donnant un caractère plutôt enclin à la violence) ;
  • la bile noire (venant de la rate et donnant un caractère mélancolique/anxieux).

Ces humeurs sont associées aux éléments fondamentaux que sont l’air (chaud et humide), le feu (chaud et sec), l’eau (froide et humide) et la terre (froide et sèche). Elles doivent être harmonieuses et maintenir un équilibre parfait entre elles, sinon elles sont causes de maladie.

Cette théorie des humeurs exerça une grande influence dans l’aménagement et la composition des jardins médicinaux des couvents mais également dans les arts et les lettres.

La médecine par les plantes

La médecine par les plantes remonte à l’aube de l’humanité. Aux temps préhistoriques, les chasseurs-cueilleurs ne se limitaient pas à consommer les plantes. Ils s’en servaient aussi pour se soigner. Pas d’écrits pour en témoigner, bien sûr, mais des fouilles archéologiques ont dévoilé qu’il y a 35 000 ans, les hommes de Cro-Magnon connaissaient certaines plantes comme la camomille, le chanvre, l’ortie, l’achillée millefeuille, le lin, le pavot, la valériane. Les premiers « sorciers » datent de cette lointaine époque où l’usage des plantes médicinales revêtait pour les hommes un caractère sacré. Dans les civilisations précolombiennes, les Mayas, les Aztèques et les Incas utilisaient déjà le quinquina, réputé pour ses propriétés antipaludiques et anti-inflammatoires, tout comme l’ipéca pour ses vertus respiratoires et gastro-intestinales, ou encore le curare comme anesthésiant.

Le manuscrit en grec, Codex medicus Graecus, dit Dioscoride de Vienne (vers 512). Illustration du chardon à foulon avec annotations en arabe. © Wikipédia.

Au fil des siècles, la connaissance des plantes médicinales et des remèdes végétaux n’a cessé de s’enrichir. Le XVe siècle fut même appelé « le siècle des plantes ». À cette époque, les jardins botaniques fleurissent ; on y enseigne la botanique et, bien sûr, l’usage des plantes médicinales. Grâce à la découverte des nouveaux mondes, les herboristes rapportent de leurs voyages des plantes exotiques qui contribuent à enrichir la pharmacopée européenne. Pour exemples, les Espagnols introduisent sur le Vieux Continent le quinquina, l’ipéca, le tabac, la salsepareille et de nombreux végétaux à usage alimentaire et médicinal. Un siècle plus tard, la philosophie naturelle et médicale de Paracelse (v. 1493-1541) théorise la loi des signatures et aura un impact indéniable sur la naissance des sciences modernes. Ce médecin suisse, astrologue et alchimiste – à qui l’on doit une célèbre citation, déformée, mais dont le sens premier était : « C’est la dose qui fait qu’une substance n’est pas un poison » –, incarnera l’autorité de la nouvelle médecine chimique.

Au XVIIIe siècle, la santé publique devint une affaire d’État et, en 1777, la création du Collège de pharmacie consacra l’autonomie et le monopole définitifs des apothicaires sur la préparation et la délivrance des remèdes. La pharmacie est reconnue comme « art précieux à l’humanité ». Pierre-Jean-Baptiste Chomel, botaniste, médecin du roi Louis XIV et membre de l’Académie des sciences, ne portait pas les herboristes dans son cœur : « Ils ne distinguent les plantes que par des noms corrompus et, confondant les espèces, ils font le plus souvent des quiproquos aussi pernicieux aux malades qu’ils sont préjudiciables à la réputation des médecins et des apothicaires », écrit-il dans son Abrégé de l’histoire des plantes usuelles […].

Le XIXe siècle fut marqué par une évolution majeure de la pharmacie avec le développement de la chimie et la recherche des principes actifs des plantes. Toutefois, les plantes médicinales représentent encore l’essentiel de la pharmacopée avant d’être supplantées par les médicaments de synthèse durant le XXe siècle.

Aujourd’hui, les plantes demeurent au cœur de la pharmacopée humaine. Ces dernières décennies ont assisté à un mouvement de « retour au naturel », avec un regain d’intérêt pour les soins par les plantes dont bénéficie la phytothérapie.

Pierre-Jean-Baptiste Chomel

Pierre-Jean-Baptiste Chomel dessin de son ouvrage Abrégé de l’Histoire de Plantes Usuelles, Paris, Cavilier, 1761 © Wikipédia

Pierre-Jean-Baptiste Chomel (1671-1740) est un botaniste (élève puis ami de Joseph Pitton de Tournefort) et médecin français. Par ses connaissances sur les plantes médicinales, il s’attire les faveurs de Guy-Crescent Fagon, premier médecin du roi Louis XIV, et se charge de faire l’histoire générale des plantes du Royaume. En 1707, Pierre-Jean-Baptiste Chomel devient associé botaniste à l’Académie des sciences et sera élu doyen de la faculté de Médecine en 1738.

Pour reconstituer le jardin avec des plantes qui auraient pu être utilisées par les religieuses du couvent Sainte-Cécile, nous nous sommes basés sur l’ouvrage de référence de Pierre-Jean-Baptiste Chomel, « Abrégé de l’Histoire des Plantes usuelles dans lequel on donne leurs noms differens, François & Latins. La maniere de s’en servir, la dose, & les principales compositions de Pharmacie, dans lesquelles elles font employées. Avec quelques observations de pratique sur leurs usages » (1712), qui recense les plantes médicinales « employées avec le plus de sùccez dans la guérison des maladies ».

« Aussi mon dessein n’est pas d’affoiblir le merite des remedes qui nous viennent des Indes & de l’Orient; mais je veux relever celuy des nôtres, & j’espere demontrer quelque jour par des faits bien averez que nous avons en Europe des specifiques aussi surs dans leurs effets que plusieurs drogues etrangeres, dont la rareté & le prix sont souvent ce qui les fait rechercher ».

Pierre-Jean-Baptiste Chomel

Découvrir l’ouvrage de J-B. Chomel : Abrégé de l’histoire des plantes usuelles, dans lequel on donne leurs noms différens françois et latins, la manière de s’en servir, la dose et les principales compositions de pharmacie dans lesquelles elles sont employées… par J.-B. Chomel,… | Gallica (bnf.fr)

UN PROJET DE PATRIMONIALISATION

En mai 2022, un partenariat entre le fonds Glénat pour le patrimoine et la création et l’Université Grenoble Alpes (UGA), à travers la faculté de Pharmacie et le jardin Dominique Villars, s’est mis en place pour revaloriser sur le plan patrimonial le jardin du cloître tout en respectant une démarche scientifique scrupuleuse permettant la réintroduction d’espèces végétales anciennes cultivées dans le Dauphiné aux XVIIe et XVIIIe siècles. 

Dans cette démarche, le fonds Glénat et l’UGA ont pu s’appuyer sur l’expertise du lycée horticole de Grenoble Saint-Ismier pour les conseiller sur les principes paysagers, fournir les plantes anciennes (labellisées « végétal local ») et participer aux plantations avec l’aide des élèves du lycée professionnel.

Profitez d’une promenade à travers les jardins pour découvrir l’usage médicinal de ces plantes au xviiie siècle, grâce aux QR codes présents dans les bacs et dont la disposition est reprise sur le plan ci-dessous.

Maîtrise d’ouvrage: Fonds Glénat pour le patrimoine et la création.

Commissariat scientifique : Dr. Serge Krivobok, professeur à la faculté de Pharmacie et directeur du jardin Dominique Villars – Secteur Santé, Université Grenoble Alpes.

Conception paysagère : Philippe Vérignon, directeur de l’exploitation pédagogique au lycée horticole de Saint-Ismier.

Maîtrise d’œuvre : Jacques Scrittori.

Découvrez les plantes du jardin…

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Découvrez les plantes du jardin…
Plantes ophtalmiques Plantes céphaliques Plantes apéritives majeures Plantes vulnéraires Plantes purgatives émétiques Plantes antiscorbutiques Plantes béchiques expectorantes Plantes béchiques expectorantes Plantes fébrifuges Plantes hépatiques et spléniques Plantes vermifuges Plantes carminatives Plantes hystériques Plantes diurétiques Plantes diaphorétiques et sudorifiques Plantes diaphorétiques et sudorifiques Plantes altérantes La fontaine des quatre humeurs Espace vivrier

La fontaine des quatre humeurs

Evocation du paradis terrestre, les jardins présents au cœur des cloîtres comportent nécessairement un point d’eau.

Notre fontaine a été réalisée par le tailleur de pierre Claude Chevènement, de Saint-Antoine-L’Abbaye (38). Elle est un rappel à la vocation religieuse du couvent.

Au bord de l’eau des petits personnages font également allusion aux théories astrologiques qui peuvent guider l’utilisation des plantes médicinales :

– Le Gnôme, rappelle la terre.

– La salamandre, le feu

– La fée, l’air

– La grenouille l’eau.

Espace vivrier

Les végétaux de cet espace sont labellisés « Végétal local ».

Il s’agit d’une marque collective simple qui a été créée à l’initiative de trois réseaux : les Conservatoires botaniques nationaux, l’Afac-Agroforesteries et Plante & Cité, en 2015. Elle est issue d’un appel à projets, « Conservation et utilisation durable d’espèces végétales indigènes pour développer des filières locales », lancé 2011 par le ministère en charge de l’écologie dans le cadre de la stratégie nationale pour la biodiversité.

Réunissant pendant deux années près de 150 scientifiques et représentants des producteurs et utilisateurs de végétaux, cette démarche collective a permis de définir les objectifs, les outils et le cadre pour la collecte, la production et la traçabilité des végétaux sauvages d’origine locale. La marque est aujourd’hui propriété de l’Office français de la biodiversité (OFB).

Les partenaires du projet :

  • L’Université Grenoble Alpes et le jardin Dominique Villars

Le secteur Santé de l’Université Grenoble Alpes (UGA) regroupe les facultés de médecine et de pharmacie situées près du CHU Grenoble Nord (La Tronche).

Créé en 2014, le jardin Dominique Villars est un jardin de plantes médicinales et toxiques situé dans le parc des facultés de médecine et de pharmacie de l’Université Grenoble Alpes.

Ce jardin pédagogique de 7 500 m2 possède actuellement plus de 350 plantes – principalement médicinales – réunies selon leurs propriétés thérapeutiques, et réparties en dix zones dans le parc. Une attention est également portée sur les confusions végétales et les plantes toxiques.

Depuis sa création, le jardin Dominique Villars n’a cessé de s’enrichir : une zone de biodiversité, un jardin médiéval de « simples » basé sur la théorie hippocratique des quatre humeurs, un potager de plantes médicinales alimentaires et un jardin japonais de médecine traditionnelle Kampo. Grâce à son concept, ses collaborations, sa richesse botanique et ses actions de médiation scientifique, le jardin Dominique Villars a été classé en 2018 « Jardin associé aux espaces naturels sensibles » par le département de l’Isère, facilitant ainsi les visites guidées pour les scolaires.

Couplé à plusieurs expositions, dont celle intitulée Amis pollinisateurs, bienvenue en ville !, un rucher permet de sensibiliser le public et les scolaires au rôle primordial des insectes pollinisateurs et au déclin de la biodiversité (visite guidée sur demande).

Ce jardin a obtenu un contrat d’innovation d’excellence « Idex Rayonnement social et culturel » en 2018 et en 2023-2024.

Découvrir le jardin Dominique Villars : Le jardin Dominique Villars – Secteur santé – Facultés de médecine et de pharmacie de l’Université Grenoble Alpes (univ-grenoble-alpes.fr)

  • Le Lycée horticole de Saint-Ismier

Le lycée horticole de Grenoble Saint-Ismier propose des formations du paysage, de la nature et du vivant.

Implanté dans un parc arboré de 6 ha, « Le domaine Randon », l’établissement comprend notamment une exploitation horticole pédagogique.

C’est un véritable outil de production, d’expérimentation et de travaux pratiques : production de pépinières, de plantes et de légumes.

Découvrir le lycée : L’école du paysage, formations scolaires, en apprentissage et continues pour adultes ! – Lycée horticole Grenoble St Ismier (educagri.fr)

SOURCES

Jean-Baptiste Chomel, Abrégé de l’histoire des plantes usuelles, Paris, C. Osmont, 1712

Dominique Villars, Histoire des plantes du Dauphiné, 3 tomes, Paris, chez Prevost, 1786

Laurent Lecomte, Religieuses dans la ville, L’architecture des Visitandines, XVIIe et XVIIIe siècles, Editions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2013

Le couvent Sainte-Cécile, Grenoble, Editions Glénat, 2013

AVERTISSEMENTS

Attention : nous avons choisi de conserver l’orthographe originelle (issue de l’Abrégé de l’histoire des plantes usuelles […], 1712) pour les étiquettes des plantes du jardin.

Le « Lieu » et les « Tempéraments » des plantes sont quant à eux issus de Histoire des plantes, en laquelle est contenue la description entière des herbes […]par Rembert Dodoens (1557).

L’utilisation de ces textes anciens dans leur composition d’origine explique les différences ortho-typographiques présentes dans nos étiquettes.

ABREVIATIONS

Ph. Eur. : Pharmacopée européenne La Pharmacopée européenne – ANSM (sante.fr)

Ph. Fr. : Pharmacopée française (avec liste associée) La Pharmacopée française – ANSM (sante.fr)

Avant tout usage de plantes médicinales, demandez l’avis de votre médecin ou pharmacien.